/Tous mes articles sur la sonde naso-gastrique de mon bébé sont ici/
J’ai 30 ans, mon bébé dans les bras qui pleure, les fesses qui collent sur le skaï du fauteuil accompagnant déchiré de l’hôpital. Il a faim. Il faut lui reposer sa sonde nasogastrique qu’il s’est arraché pour le nourrir. Je regarde son visage si rarement visible sans cette foutue sonde. Je contemple ses yeux qui ne me voient pas. Je me demande pourquoi, comme toujours.
Les infirmières arrivent. C’est le moment, on va m’apprendre. On va m’apprendre à la poser cette sonde. Le papa a été « formé » hier, c’est mon tour. Je prends ce tout petit enfant, le pose sur la serviette de la table à langer. Je dois le tenir, fermement. Il pleure, il se débat. Je dois maintenir son visage. On m’a expliqué les gestes, vas-y. « Il hurle fort, parfait, ça sera plus facile pour vous ».
J’ai posé la sonde, je pleure, « j’arrête ». Je n’apprends pas à la poser. Ni aujourd’hui ni jamais. Je m’en fous, je le ferai pas. Les infirmières haussent les épaules, « comme vous voulez », de toute façon il se murmure que ce gamin n’en a que pour quelques temps alors franchement. Elles s’en foutent.
J’ai 37 ans, mon quasi 8 ans dans les bras. Je dois lui bloquer les bras et lui maintenir la tête pour qu’on lui mette une foutue sonde pour 24h. Un examen pour comprendre pourquoi il y a comme d’hab un truc qui se détraque dans la santé de ce super-héros. L’infirmière est gentille, mais elle n’y arrive pas. Mon grand pleure, il ne se débat pas, mais il a peur, il ne veut pas. Il le dit. Il le répète. Moi je dis qu’il n’y a pas le choix.
Alors on réessaye. « Tenez le comme ça madame, attendez une collègue arrive ». On est 3 puis 4 autour de lui. Je commence à pleurer moi aussi. Même les molécules qui tapissent mes neurones baissent les armes. Je suis 7 ans en arrière, et je veux m’enfuir. Je promets un jouet qui fait du bruit, je devrais pas. Mais en vrai, je dirais oui à n’importe quoi si seulement il ne pleurait pas. Enfin, surtout si ce n’était pas moi qui était en train de le tenir là et le faire pleurer.
Il a son petit sac sur le dos, qui transporte le capteur. Il dévore les boudoirs qu’on lui a donnés pour le féliciter de son courage. « Ça ne dure que 24h » me dit mon cerveau. Mon cœur lui est bloqué. On repart, direction la vie normale C’est rien. C’est pas grand chose. Ça va passer. C’est tout et tous les souvenirs douloureux sont là intacts. Je le regarde, il me regarde. Il sourit en me montrant le nouveau jouet acheté à la boutique de l’hosto. Je détourne les yeux.
Demain on lui enlève, et ça ne sera rien de plus qu’un examen terminé.
Toujours dans mes souvenirs les plus sombres il restera ce bébé si petit qui ne mangeait pas et ne devait pas avoir l’opportunité d’avoir beaucoup trop de jouets qui font du bruit.
12 comments
Tu m’as mis les larmes aux yeux. Je pense à vous ❤
Merci <3
Plein de courage à lui et à vous ❤️
Merci <3
On pense fort à vous ! Et on vous embrasse très fort !
Merci beaucoup, on espère que ça sera vite derrière nous !
Tellement fort, ma fille aussi avait une sonde. Je partage vos sentiments, merci de les écrire
C’est difficile parfois de se rendre que le traumatisme est toujours là…
Tellement dur à lire, je n ose même pas l idée de devoir le vivre. Courage à vous!!! Je pense énormément à vous et votre famille. On fait comme on peut et pas comme on veut malheureusement.
Merci <3
Je te comprends, ô combien.
J’étais tombée sur tes articles en 2017, quand je savais pas et qu’on me parlait de « sonde ». En me disant que ce serait rien, juste un moment à passer.
Ca me ramenait à mon enfance avec une mère sous assistance médicale 24/24. Devoir appeler le SAMU à l’âge de 12 ans. Le régulateur qui te croit pas. C’était une question de vie ou de mort. 2 minutes pour convaincre. J’ai jamais oublié.
Non je voulais pas non plus me retransformer en infirmière. Et ton blog, ton expérience, sont les seules que j’ai trouvé où j’ai pu lire des sentiments qui faisaient écho aux miens. Une mère qui dit « niet ». Avec aussi en filigrane « un bébé qui en avait pas pour longtemps / un truc grave et qu’il faudrait bien accepter parce que « non mais madame, vous avez choisi d’avoir un bébé, il fallait vous renseigner ». J’avais alors répondu qu’il fallait distribuer des pavés décrivait tout ce qui existait comme maladie. Parler de la prématurité. De tout ce qui peut nous tomber dessus, le faire savoir comme un truc potentiel et pas comme un truc honteux qui n’arrive qu’aux autres alors ?
La pédiatre a dû être bien emmerdée, parce qu’elle a regardé ailleurs en fermant sa gueule.
Sans le savoir, tu m’as aidé à dire niet moi aussi.
Rien que pour ca, je sais que je penserai à toi et à ta famille toute ma vie.
Merci. Et « papatte » de soutien (pas de « courage » parce que le « courage » on en a assez et on a pas le choix…)
Merci beaucoup pour ton commentaire, je suis extrêmement touchée. Ce genre de phrase que tu as pu entendre, ça me rend juste dingue… Certains ont oublié le tact, et surtout le fait qu’ils travaillent avec des humains. Les rapports avec les médecins peuvent être bien compliqués parfois… et pas seulement les médecins ! Le handicap, la maladie, cela reste quand même très abstrait avant qu’on soit dedans. Et RIEN ne peut « préparer » à ça. « Papatte » de soutien à toi aussi <3