En ce moment sur Instagram tourne le #10yearschallenge, avec un montage photo 2009 VS 2019, le petit post qui va bien pour dire que bordel le temps passe et qu’on a morflé mais que ma foi la vie est quand même sympathique et vivement les 10 ans à venir. J’aime bien ce genre de petit exercice rétrospectif, alors j’ai eu envie de m’y livrer moi aussi. Me revoilà à fouiner dans mes photos de 2009.
Et là le choc. Et surtout les larmes qui montent malgré moi. Je me rends compte que je ne regarde que peu les photos de ma “vie d’avant”. Je n’aime pas les revoir, je n’aime pas revoir la fille que j’étais avant. La fille d’avant elle n’avait pas cette tristesse perpétuelle au fond du coeur, elle n’avait pas cette mélancolie chevillée au corps. La fille d’avant, elle était foncièrement positive, convaincue que la vie la portait vers du mieux. La fille d’avant elle fourmillait de projets, tout le temps. La fille d’avant elle avait le corps et le coeur qui tenaient bon, les épaules pour encaisser les coups durs et le rire pour enchanter les bons jours.
Il y a 10 ans, j’avais 24 ans, je finissais mes études dans un nouveau domaine et j’avais hâte d’attaquer ma vie professionnelle. Mon mec finissait de retaper sa maison, j’étais encore à faire mes allers-retours entre Paris et Toulouse, j’étais au commencement d’un nouveau truc. Tout n’a pas été simple par la suite, les premiers boulots un peu décevants, le chômage, les coups de mou. Mais j’étais sûre d’un truc : j’allais vers le mieux. Et j’avais raison au final, mon optimisme n’était pas béat, je savais que j’allais récolter les fleurs des petites graines de vie semées depuis des années.
Ce qui est dur de me dire en fait, c’est que véritablement j’avais réussi à construire ma vie comme je l’entendais. Est-ce que tout était parfait ? Non, assurément pas. Mais bordel que je me sentais bien. A l’aube de mes 30 ans, quand on a décidé de fonder une famille, je me sentais bien. J’avais un boulot que j’adorais, un avenir professionnel qui me souriait. Je me sentais bien dans mon corps malgré quelques soucis de santé, j’avais enfin repris le sport. On sortait régulièrement avec mon mec, on profitait des expos, des restos, des brunchs entre potes. On était bien installés dans une maison, on voulait déjà quitter la région parisienne mais c’était un projet long terme, on avait des rêves d’achat immobilier à retaper… Globalement ça roulait, on en était conscients, et devenir parents dans cette période coulait de source. Le handicap de mon fils m’a heurté en pleine course, et la fille d’avant n’existe plus.
Il est dur de vivre sa maternité pleinement quand on regrette tellement ce qu’on avait avant. La réelle insouciance. L’intime conviction d’avoir la possibilité, la capacité, la ressource à aller de l’avant malgré les épreuves de la vie. Le temps où la résilience n’était qu’un concept et où “se réinventer” n’était qu’un joli terme marketing. Ne venez pas me dire que l’incertitude fait partie de la vie, nous ne la vivons pas à la même échelle. Ne venez pas me dire qu’il est temps d’accepter : de 1, je ne le sais que trop bien, de 2 vous n’avez aucune idée de l’ampleur de la tâche.
2019, j’ai 34 ans, j’ai beaucoup et j’en suis aussi, paradoxalement, consciente. Je sais la valeur de beaucoup de choses malgré la dureté des désillusions.
Je sais qu’il est me faudrait dire adieu définitivement à cette fille d’avant. Revoir ses photos sans un sentiment de gâchis. Mais qu’il est dur de voir dans son regard à elle, la fille d’avant, cette conviction intime que l’avenir lui tendait les bras.
30 comments
J’ai lu. Et ne pas commenter c’est un peu du voyeurisme. Mais comment trouver les mots ? Ceux qui soulagent et apaisent ? J’espère que la prochaine décennie sera plus doux même si… Je t’envoie un gros câlin virtuel et des pensées. C’est bien peu…
Merci beaucoup <3
Comme je te comprends ! J’ai eu aussi l’envie de participer… et je me suis rappelée que je bloguais de façon anonyme, sans montrer mon visage ni celui de mes enfants… La fille d’avant, je l’ai été jusqu’il y a deux ans et demi et puis encore un petit peu jusqu’à ce qu’on ait le diagnostic en novembre.
Maintenant, il y a ces rêves qui en resteront mais ne se réaliseront pas (acheter une maison quand on travaille à 30%…), ces images de l’avenir qui ne resteront que des images. A la place, une inquiétude qui ne devrait pas être présente à cette période de la vie (qui s’occupera de notre fille quand on ne sera plus là ? Comment faire pour lui assurer un complément de revenus toute sa vie ?) et puis des inquiétudes renforcées sur un futur à moyen terme (quelle école ?).
Cette alternance de jour sans et de jour avec, cette impression de ne pas avoir le droit de flancher et puis le poids de la responsabilité (elle ne parle pas, elle ne parlera peut-être jamais… mais elle dit « maman » depuis plus d’un an, le seul mot qu’elle dit, alors c’est clair qu’il n’y a pas d’autre option que de tout faire pour elle).
Je pense bien fort à toi.
Merci beaucoup de ton mot, ile me touche beaucoup, je me retrouve dans toutes tes interrogations <3 Tu le dis si bien, il n'y a pas d'autres options que d'assurer, de ne pas flancher, et c'est si lourd...
Je comprends un peu ce que vous vivez étant la cadette d’un autiste haut potentiel (donc quand même pas mal autonome, comme un enfant de 10 ans on va dire). Je ne savais pas trop quoi vous dire à la lecture de ce post et finalement le commentaire de Camomille a fait tilt. Nous venons de perdre nos parents en même pas 2 mois. Et j’ai fait des découvertes peu connues sur qu’est-ce qu’il se passe quand les parents d’un enfant/adulte handicapé décèdent, j’ai eu envie de les partager au cas où vous ne connaîtriez pas.
La pension de réversion existe pour les orphelins mineurs ou handicapés (sans limite d’âge, il faut juste un document attestant du handicap à 80% datant d’avant les 21 ans) pour la retraite complémentaire (10% pour l’ircantec et 20% pour l’agirc-arcco seront reversé à l’orphelin, c’est ps énorme mais quand on voit le montant de l’AAH, 40€/mensuel à vie ça se refuse pas). Ensuite il y a des majorations quand on élève ou a élevé un enfant handicapé sur la retraite -> majoration légère de la réversion.
Ensuite, les prévoyances (celles collectives ou des individuelles pour 15€/mensuel pour celles que j’ai vu) proposent l’option rente éducation qui est à vie dans le cas d’un enfant/adulte handicapé. Là le montant varie mais c’est souvent quelques centaines d’euros.
Mes parents ne connaissaient pas la réversion aux orphelins et je suis tombée dessus en cherchant autre chose.
Courage mesdames et surtout gardez bien vos justificatifs.
J’espère que je n’ai pas l’air de donner de leçon, l’idée est plus d’apporter un peu de soutien.
Merci beaucoup Soazig pour toutes ces informations. C’est clairement le genre de choses sur lesquelles on n’a pas envie de se pencher et c’est pourtant très utile de le savoir.
Bouleversée par tes mots. A toi et à elle, la fille d’y a 10 ans, des bises…
Merci beaucoup <3
Très émue par ce post et admirative de ton courage quotidien.
Chaleureuses pensées.
Merci beaucoup <3
J’ai trouvé ton poste très émouvant, et je trouve que tu as vraiment utilisé des mots magnifiques pour décrire ton état d’esprit… En ce qui me concerne, j’éprouve aussi de la nostalgie pour la fille d’avant, celle que j’étais avant mes enfants, même s’ils sont en bonne santé et qu’ils ne portent aucun handicap. Mais tout simplement, le fait de savoir qu’on ne sera plus jamais insouciant, qu’on aura toujours quelqu’un à charge, quelqu’un dont il faudra s’occuper, dont il faudra se soucier, cela enlève Malgré tout une part de bonheur. Pourtant, j’aime mes enfants, ils m’apportent beaucoup d’amour, mais on peut pas comparer notre vie d’avant avec celle d’aujourd’hui. Avant, nous n’avions que nous à penser, nous étions insouciants, il est peut-être là le vrai bonheur… Mais je n’ose pas comparer ma situation à la tienne, car il est évident que quand on a un fils porteur de handicap, les choses prennent encore une autre dimension… Je t’embrasse ma Charlotte, et je pense bien à toi.
Merci <3
Je suis emue par ton post… Je ne peux qu’imaginer la perte de cette insouciance, de cette confiance en la vie, et en même temps elle me parle rien qu’à mon échelle, cette nostalgie d’une insouciance dont on profitait sans même le savoir avant d’avoir des enfants. Et qui vient nous tirailler quand on voit d’autres amis qui sont encore dans cette phase de leur vie.
Merci pour tes mots.
Merci pour ton message <3
Bien sur qu’on a rien a te dire. On a juste à être là. J’espère que tu as du monde autour de toi, qui te soutient. Le poids du sac à dos est moins lourd quand on peut décharger parfois ses cailloux. .. je t’embrasse .
Merci beaucoup <3
Tes articles sur ce sujet sont toujours tellement touchants qu’il m’est impossible de ne pas commenter. Et en même temps, c’est impossible de trouver les mots justes, ceux qui te mettront un peu de baume au coeur. Je te souhaite 10 belles années à venir, peut-être que tu n’accepteras jamais mais que tu trouveras quand même beaucoup de joie dans ton quotidien. Je te le souhaite.
Merci Elise, c’est tout ce que je souhaite <3
<3
<3
Te lire me rend tellement triste…
Parce que tes mots sont durs, mais vrais. Qu’ils sont bien plus réalistes que tous ces avant/Après qu’on voit sur internet, dont certains sont peut être aussi bien tristes si on gratte au delà de ce qu’on nous montre en surface.
Il te faut un courage immense pour oser coucher sur le clavier ces sentiments, cette nostalgie, cette déchirure… C’est admirable, et j’avoue que ça me rend encore plus triste que la vie t’ait joué ce sale tour, même si personne évidemment ne mérite ça plus qu’un autre.
Mais je crois qu’il reste beaucoup de la fille d’il y a 10 ans… la lumière, le fond, les projets. Tu y arrives, quand même, alors que la situation est si dure – alors je crois qu’elle n’a pas disparu. Elle a juste évolué et pris une direction différente de celle que tu imaginais. Moi je la vois, quand même, quand je te suis ici ou sur IG…
Merci beaucoup, ton message me touche énormément <3
Comme je te comprends, comme je te rejoins… le curseur n’est pas au même endroit mais le ressenti est le même. Comme j’aimerai retrouver cette légèreté d’il y a 2 ans…
Je ne peux qu’imaginer ce que tu vis, mais je pense que nous avons effectivement le même sentiment d’un « coup d’arrêt » brutal.
Je n’ai pas de mots, mais la grande soeur que je suis comprend la maman que tu es. C’est un tatouage à vie, des fêlures irréparables, mais on fait avec, et malgré les difficultés l’amour prime. Il grandira, grâce à toi, et toi grâce à lui. Je t’embrasse du fond du coeur, j’espère que les personnes qui croiseront vos chemins seront toujours bienveillantes et vous aideront à aller de l’avant.
Merci beaucoup pour ton gentil message, c’est tout ce que je nous souhaite <3
Effectivement comment ne pas commenter…mais que dire de plus….
C’est toujours poignant ce que tu écris. Et la particulièrement avec tout le recul et la maturité que tu as pris…
Merci de nous faire confiance et de partager tes ressentis…
En tout cas je ne te connais pas mais ce que je sais en te lisant régulièrement c’est la force, le courage que tu as gagné garde le bien et la femme que tu es devenue avec la belle famille que vous avez construite ça n a pas de prix.
Merci beaucoup Adeline, je suis très touchée par ton message <3
Bonjour,
Je ne commente quasi jamais les blogs. J’ai atterri sur le vôtre par hasard, de lien en lien! Je comprends votre douleur, votre stress et votre découragement parfois. Perso, c’est le fameux bilan des 40 ans qui m’a fait tilt : ‘non, je ne suis pas où j’avais prévu d’être’. Pourtant, mon soucis est tellement plus léger que le vôtre. Mon fils est hyper actif avec un fort déficit d’attention et une hyper sensibilité. Mais alors, cela impacte tellement nos vies. Pourtant, je n’imagine pas ma vie sans lui, alors qu’il nous a obligé à tout changer dans le passé, encore dans le présent et sans aucun doute dans les années à venir!
bon courage, et n’hésitez pas à partager un peu vos gros cailloux: ca fait mal à force de les porter seule tous les jours…
Kate
Merci beaucoup pour ce message Kate <3 On n'imagine jamais à quel point le handicap peut impacter nos vies oui, et ça me semble toujours aussi compliqué de faire ressentir ça à l'extérieur. Dur de s'imaginer quand on ne vit pas la situation à quel point nos vies sont intenses !