Ma découverte de la maternité a coïncidé avec la découverte du monde du handicap. C’est quelque chose qui me terrifiait, quelque chose que bien entendu je n’avais jamais imaginé, mais c’est comme ça. Quoi que je veuille, j’ai été transformée en profondeur par tout cela. Sans bien discerner toujours ce qui vient de ma vie de maman “classique” ou de notre vie “extra ordinaire”. Notre vie de famille ne se résume pas au handicap, mais elle s’inscrit avec.
Je vous disais dans cet article que l’envie d’agrandir la famille a toujours été là : je n’ai jamais envisagé d’avoir un seul enfant, et mon premier accouchement et les débuts de vie “volés” de mon grand en néonat ont concrétisé mon envie d’enfants rapprochés. Sauf que quand cette annonce de maladie rare s’est imposée dans notre famille quelques semaines plus tard, il a fallu la digérer. Et surtout, composer avec pour cette grande question “et après ?”.
Avant d’envisager ce “bébé d’après”, il a fallu attendre le diagnostic. S’assurer qu’il n’y avait pas de risque génétique que nos autres enfants soient porteurs du même syndrôme. C’est une drôle de situation, et je mesure la chance que nous avons eu d’avoir des réponses au bout d’1 an. La suite, c’est réussir à concilier cette annonce avec notre envie. C’est que cela n’a rien de simple. Imaginez donc : je n’avais qu’une crainte, c’est d’avoir d’autres enfants en situation de handicap. Et en même temps, j’ai mon petit chat, que j’aime plus que tout, qui a transformé ma vie que je n’imagine pas sans lui. Vivre le handicap, c’est accepter cette ambivalence permanente.
Ce bébé d’après, j’avais peur de lui faire porter beaucoup de choses sur les épaules. Ce fameux fantasme de réparation concernant l’accouchement et les premières semaines de vie. Et tout le reste. Je me suis demandé quelle vie on imposait de fait à ce petit deuxième. Comment ménager du temps pour lui, alors que la prise en charge de son frère prend du temps que je prioriserais toujours ? Comment envisager l’avenir quand il est incertain ? J’ai pensé, c’est vrai, que si je n’avais qu’un seul autre enfant, ça serait potentiellement lourd pour lui d’assumer éventuellement son frère à l’âge adulte. J’ai pensé que je voulais m’étourdir dans une grande, grande famille, beaucoup de monde autour de la table pour oublier ce handicap, dont à l’époque je n’avais aucune idée de ce qu’il pouvait représenter, les médecins ayant été si pessimistes… J’ai pensé que je ne voulais pas “juste” un autre enfant, surtout pas une fille, car j’avais peur qu’elle ne soit trop maternelle avec son grand frère. Je vous écris cet article des mois et des mois après ces réflexions, et je m’aperçois à quel point c’est en partie des conneries. Mon cerveau avait besoin d’exprimer tous ces doutes, toutes ces interrogations, mais au final la seule bonne solution c’est de se laisser porter par la vie. Il n’y a pas le choix, et lutter contre le courant est trop épuisant.
En fait, je me dis qu’on fait de toute façon le deuxième pour des raisons différentes du premier. Tous mes copains qui ont fait ce petit deuxième ont aussi intégré le premier dans l’équation, “pour qu’il puisse jouer avec”, “pour qu’il ne soit jamais seul”. Et la peur d’aimer moins ce bébé car “lui n’aura pas de soucis” ou de l’aimer plus car “lui n’aura pas de soucis”, au final, ce n’est ni plus ni moins que l’interrogation légitime de jeunes parents : est-ce que j’aurais de la place dans mon cœur pour un amour aussi fort pour tous mes enfants ? Et envisager l’avenir de cette fratrie, c’est de toute façon de la divination. Et scoop : non, appréhender le handicap ne te fait pas exceller dans cet art occulte 😉 Au contraire. Jour après jour, pas après pas, ça doit être notre seule devise.
Ce bébé d’après est le fruit de toutes ses réflexions. Je ne sais pas si ce sont des bonnes ou des mauvaises raisons. Handicap ou pas, je voulais plusieurs enfants. Mais il est vrai que le handicap m’a définitivement convaincue que ce “plusieurs” ne se limiterait pas à 2. Je ne voulais pas avoir “celui qui a des soucis” et “celui qui va bien”. Il y aura “des” enfants, un point c’est tout.
Je ne crois pas au destin. Mais je dois vous dire qu’apprendre que j’attendais des jumeaux, et que de toute façon rien, absolument rien ne serait comme je l’ai imaginé… Je me suis dis que quand même, c’était peut être écrit que nous n’aurions pas de famille “classique”.
Le lâcher-prise. J’imagine que c’est la seule et unique clef pour envisager l’avenir de sa famille après l’annonce du handicap. J’y travaille tous les jours.
13 comments
C’est joliment écrit.
Une très belle fratrie !
Merci <3
Une bien belle famille et une histoire que je découvre petit à petit à travers tes articles… Effectivement, la vie s’est un peu amusée avec vous ! Je ne connais pas le handicap d’un enfant mais je me suis toujours dit que la question des enfants d’après devait être très compliquée… J’espère que l’arrivée de tes jumeaux a répondu à toutes ces questions et vous a rassuré face à tout ça…
Virginie
Ô que non, les questions je les aurais à vie je pense ! Mais on avance pas à pas, on se teste, on se découvre. Mais les voir tous les 3 ensembles qui interagissent de plus en plus, c’est au final la plus belle des réponses 🙂
Très bel article.
Dans vos mots je devine les questionnements qui ont dû être ceux de mes parents. Lors de mon enfance et mon adolescence je leur ai souvent reproché abruptement de m’avoir fait sœur de ce frère-là. Je ne supportais pas leur injonction d’accepter et d’aimer Gaspard tel qu’il était car il était mon frère. J’avais le sentiment que personne ne prenait en compte qu’il pouvait m’être difficile de supporter le handicap mental et tout ce qui l’accompagnait, les cris de mon frère, ses raisonnements incohérents, les heures à l’attendre chez le psychomotricien ou l’orthophoniste, sa scolarité chaotique qui accaparait l’esprit, l’énergie et le temps de mes parents et surtout le regard des autres. Ainsi, quand mon frère et sa maladie devenaient trop envahissant, j’ai pu trouver que mes parents avaient été égoïstes d’assouvir leur envie de fratrie. Pourtant, avec du recul, ma petite sœur et moi estimons qu’avoir été des enfants d’après a été pour nous une richesse car notre frère nous a appris la patience, l’acceptation de la différence et une sensibilité aiguë à l’injustice.
Merci pour votre témoignage Angèle, il me touche beaucoup et me serre un peu le cœur aussi. Je crois que de toute façon, vivre avec le handicap c’est être dans l’ambivalence tout le temps, et il est (à mon avis) illusoire de se dire que tout se passe bien en permanence. Il y a forcément des moments plus délicats que d’autres. J’espère que je réussirais à gérer au mieux tout cela pour mes 3 fils, et je suis heureuse de lire votre dernière phrase 🙂
Je tombe sur cet article par le biais de Picou… Difficile de trouver les mots pour répondre à ce billet si intime, en ne se connaissant pas personnellement.
Je suis pour ma part l’ainé d’une fratrie de 4 enfants, dont c’est la petite dernière qui porte le poids d’un polyhandicap. Alors la question ne s’est pas posée pour mes parents, la famille était déjà assez nombreuse, mais je pense que nous avons tous été marqués, chacun à notre façon. Mon petit frère (né juste avant elle) a beaucoup souffert étant enfant, car il vivait viscéralement les souffrances de notre petite soeur, et le centrage de mes parents sur ses besoins. Ma soeur et moi (les ainées), avont été plus épargnées, mais hasard ou non, nous avons opté toutes les deux pour une carrière professionnelle qui nous amène à travailler avec des jeunes porteurs de handicap. Le rapport à la maternité est lui aussi différent, peut-être moins insouciant que pour la plupart de gens, car il est teinté d’angoisse. Dès l’adolescence, j’ai su que je serai prête à faire un enfant, le jour où je serai prête à accueillir n’importe quel enfant, justement. Avec le handicap, la maladie, que sais-je encore… Cela dit, ce n’est pas négatif, bien au contraire. Notre famille est ainsi, notre soeur n’est pas que le résumé de la liste de ses prises en charge, c’est une personne riche et intense que nous adorons et dont nous ne pouvons imaginer qu’elle n’ait pas existé.
Bref, je suis désolée pour ce long commentaire, mais je veux surtout te dire, même si les mots sont maladroitement choisis, que je t’admire en tant que maman, je sais ce que cela représente, mais je sais aussi qu’au delà des diagnostics, l’amour reste le lien unique et essentiel. Je te le souhaite aussi fort et complexe (dans le bon sens du terme) qu’il l’est pour notre fratrie. Je t’embrasse.
Sarah
Merci beaucoup pour ton long commentaire Sarah, je suis extrêmement touchée. C’est très beau ce que tu dis sur ta famille, et ça me met du baume au cœur.
Merci pour ces jolis mots qui montrent qu’on a tous les mêmes questionnements, quelque soient les ‘originalités’ de nos enfants
Merci <3
Je te lis et je revis toutes mes pensées suite à la naissance de mes deux derniers. Avoir un premier enfant avec un handicap (quelqu’il soit) nous pousse à anticiper certains aspects, qu’on le veuille ou non. Mais tu verras, le temps apaise certaines souffrances et les progrès nous apportent tellement d’espoir. bises
Merci pour ton message <3 Quand je te lis ça me donne de l'espoir oui... Donner le temps au temps, c'est si compliqué quand l'angoisse nous submerge, mais je sais que c'est la clef.