Jour de pluie

Jeudi de vacances, vite vite on se dépêche ce matin pour être au centre de loisirs tôt, c’est qu’il y a une sortie aujourd’hui et mon petit chat est tout excité à l’idée de partir en bus. On arrive sous des trombes d’eau, sortie annulée… Les enfants vont pouvoir faire autre chose de la journée, l’équipe est là pour leur proposer plein de choses cools, mais c’est un peu dommage quand même.

Jour de pluie. Même pas un vrai jour de pluie, il a beaucoup plu ce matin, et puis après grand soleil en début d’après-midi. Mais je n’ai pas aimé comment la journée a commencé, la pluie parfois a ce petit goût de déception tenace qui ne veut pas te quitter. J’ai rendez-vous avec l’un des professionnels qui suit mon petit chat depuis longtemps, pour faire le point sur le dernier bilan. Rien de fou, ce sont des points d’étape “obligatoires”, rien qui ne remplace les discussions hebdomadaires, les progrès constatés par tous, la persévérance et l’engagement de mon petit chat. Mais c’est nécessaire ces bilans normés régulièrement.

Je rentre dans le bureau sous le soleil et j’en ressortirais sous une pluie battante, pour rentrer chez moi à pieds trempée, les épaules martelées par la grêle qui s’est carrément invitée. Mais je m’en fous. Les gouttes de pluie sont déjà tombées dans le bureau, sur mes joues, devant ce compte-rendu qui fait mal. C’est idiot comme les échelles, les “âges de développement”, la réalité, une certaine réalité, écrite noire sur blanc peut te couper le souffle. Il n’y a rien dans ce bilan que je ne savais déjà. Il n’y a rien de négatif dans ce que m’a dit sa psychomotricienne. Il y a juste la réalité du handicap, celle qu’on voit au quotidien sans la voir, celle qui s’efface – et heureusement – devant la tonne de progrès jour après jour, semaine après semaine, mois après mois. Mais pourtant. Sur le papier, ce méchant papier, les avancées énormes paraissent bien maigres. Il y a les cases à cocher qui se remplissent si lentement. Il y a cet écart qui se creuse. Il y a cet handicap moteur qui m’apparaît. C’est un drôle de sentiment, quand vous avez un petit garçon qui marche, qui court, qui fait du vélo, qui saute, vous n’y pensez pas, vous vous dites que non. La réalité c’est pourtant que son corps l’entrave, l’empêche d’accomplir parfaitement ce qu’il voudrait.

Et l’orage de la culpabilité qui te noie. A quoi ça sert tout ça ? A quoi ça sert d’imposer à mon fils des prises en charge “pour si peu” ? C’est utile ou on arrête tout ? Ou il en faudrait encore et encore plus ? Ce n’est rien de tout ça et je le sais. La prise en charge précoce et continue de notre fils est la solution. Mais le sentiment de ne pas l’accompagner efficacement est bien là. Je ne fais que ça de ma vie. Avant j’avais un travail, j’avais des projets, j’avais des objectifs. Aujourd’hui je ne fais qu’essayer tant bien que mal d’accompagner mon petit chat au mieux et je n’y arrive pas. Les cases non cochées sur ces bilans, c’est mon échec. Je ne suis pas à la hauteur de l’enjeu.

Je suis triste que ses progrès extraordinaires ne soient pas reconnus à leur juste valeur, car lui dieu sait qu’il y est à la hauteur, et même plus haut. Champion olympique des moins de 5 ans, toutes catégories confondues. Il se donne, il en veut, et surtout il le fait avec envie et bonhomie. Il est heureux de travailler, de vivre, d’être.

Heureusement il y a l’humain. Au-delà des bilans, il y a des gens. Des professionnels qui savent l’entourer, le faire progresser. Parce que bordel oui, il progresse ! Tellement ! C’est ce que tout le monde nous dit dans son entourage, tout le temps. Et c’est aussi ce que dis ce bilan, qui souligne ses efforts, son implication et surtout ses réussites, ses stratégies d’adaptation. Mais j’ai beau le savoir, j’ai beau le ressentir au plus profond de mon être, ces bilans sont toujours une épreuve dont je ne me défais pas. Ce sont des moments où je voudrais juste ne pas être là, ne pas les vivre. Ne pas affronter encore et toujours seule, si seule, ces instants qui cristallisent tous mes cauchemars..

C’est un jour de pluie.

Je suis allée récupérer mon champion au centre de loisirs, ravi de sa journée. Il a sauté dans les flaques de boue avec ses bottes en me racontant des blagues. Nous sommes allés chez son orthophoniste qui a souligné ses grands progrès en paroles.

C’est un jour de pluie, je me suis noyée dans le déluge de mes larmes. Et comme toujours, comme à chaque fois que je doute, ce petit garçon extraordinaire a su me montrer le chemin d’un fragile arc-en-ciel.